Je viens de terminer de lire « la vie ordinaire » d’Adèle Van Reeth, écrivaine, philosophe et depuis peu directrice de France Inter. Elle nous livre un essai sur l’ordinaire et sa difficulté à appréhender positivement tout ce qui compose la vie quotidienne, le banal, les petits tracas et conversations insipides. Essai qu’elle jalonne de témoignages très personnels sur sa grossesse, son travail, son rapport à la famille, etc. Je parviens difficilement à me faire un avis sur l’ouvrage dans son ensemble, car je le trouve un peu disparate dans le nombre de thèmes abordés, et manquant de fluidité et de cohérence, mais j’ai toutefois envie de m’attarder sur quelques extraits qui ont fait écho à ma vision de la vie, ou à mon expérience personnelle et qui valent le partage !
Extrait :
« J’ai souvent eu, parfois de manière violente, la sensation d’être déconnectée, d’assister en spectatrice à ce qui se passe sans connaître le rôle que je pouvais y jouer. Comment être de plain-pied dans le monde, s’y sentir chez soi, sans être aspirée par l’extérieur, sans renoncer à ma singularité, à ce qui fait que je ne suis pas pierre, ni plante, mais quelqu’un qui pose cette question, quelqu’un tout court ? (…) il est difficile de devenir quelqu’un, ça demande du travail, du défrichage, et parfois, on en a tout simplement pas envie, on voudrait renoncer, pourquoi ne pas tout simplement se laisser être, devenir objet, inerte, laisser le temps faire son œuvre en se contentant de faire le nécessaire pour survivre ? »
Ce passage, j’aurais presque pu l’écrire, car il traduit exactement ma pensée – à certains moments de ma vie. A l’école, déjà, je n’avais aucune envie de participer à certaines activités, certains jeux plébiscités par mes congénères, et j’avais souvent l’impression que les gens jouaient une comédie autour de moi. La grande comédie du monde. Plutôt que d’en être actrice, j’ai souvent préférer l’observer, et l’école était parfois un vrai théâtre où je n’avais pas d’autre choix que de monter sur scène, non sans souffrir au passage. Plus tard, la vie d’étudiante me convint beaucoup mieux car je pouvais être spectatrice à 100%, nichée dans un auditoire rempli de mes semblables qui nourrissaient mon besoin d’appartenance, tout en me laissant penser en paix. Jamais un professeur n’allait me regarder droit dans les yeux et me demander d’intervenir, parmi plus de 400 élèves réunis dans une même salle. Le paradis sur terre. Un pied dans l’auditoire, l’autre sur mon nuage et personne pour m’en porter préjudice.
Dans toute le situations où on a un semblant de rôle à jouer ; l’entreprise et les sports d’équipe, notamment, si je peux enfiler mon déguisement de caméléon et me fondre à peu près partout, je ne parviens jamais à être totalement à ma place. Je ne suis pas sur la même longueur d’onde que les gens qui sont « à fond » dans leur match, ou qui écrasent tout sur leur passage pour monter les échelons d’une hiérarchie. J’ai toujours la sensation d’avoir un pied au dehors et de regarder tout ça d’un œil externe, pour mieux l’analyser ces sytèmes, surement, mais cela ne joue pas en ma faveur en termes de résultats – et je ne me l’explique toujours pas complètement.
Adèle fait ensuite le parallélisme avec la grossesse et le fait que lorsqu’on est enceinte, on prend forcément part au monde : « Je ne pouvais plus regarder le monde comme si je n’en avais jamais fait partie. Je ne pouvais plus me demander si le rêve est plus réel que la veille, je ne m’interrogeais plus sur le degré de réalité des passants. J’abritais une réalité minuscule qui n’était ni moi, ni le monde, mais qui m’empêchait de douter de l’un comme de l’autre et qui, pour la première fois sans doute, m’apportait la certitude que quelque chose existe. »
Ici aussi, je me suis très fort retrouvée dans les propos d’Adèle. J’ai adoré être enceinte car cela m’apportait un statut par défaut. Je ne devais pour une fois rien prouver au monde pour exister. Exister sans rien faire, vous allez me dire : serait-ce de la paresse ? Peut-être au niveau biologique, car l’enfant se forme et prend vie, au sein de soi mais presque malgré soi, mais pour mener une grossesse à terme tout en travaillant à temps plein et en gardant une vie sociale, ce n’est pas vraiment d’une promenade dont on parle. Les nausées, la fatigue, les subterfuges pour ne pas se faire démasquer dans les 3 premiers mois, puis les maux de dos, la fatigue encore sur la fin, tout en sachant que la vie comme on la connait ne sera plus jamais la même et que la vie d’un second être va dépendre de soi : not a walk in the parc. Bref, le fait de mettre une vie au monde fait changer le regard et ancre dans la réalité : je ne peux qu’acquiescer. Une fois l’enfant là, ce sera d’autant plus vrai, même si parfois, quand j’ai une armée de couvertures sur la tête car il faut se cacher – le loup arrive pour la 50ème fois de la journée – j’ai clairement un pied sur mon petit nuage en attendant que ça passe.
Et l’ordinaire, dans tout ça ? C’est cela qui me dérange un petit peu dans cet ouvrage : l’ordinaire est traité par à-coups, surtout au début et puis seulement par bribes un petit peu décousues. Un passage sur l’ordinaire est cependant à retenir :
« La vie ordinaire est une vie de faux-culs. On fait comme si c’était « déjà çà » de vivre tranquillement. Comme si on ne voulait pas d’aventure. Le secret du bonheur, c’est de savoir savourer les petites choses de la vie ! (..) Sauf que la plupart du temps, on n’y arrive pas. Mieux vaut se l’avouer : (…) la tranquillité n’est pas de ce monde. Et c’est tant mieux. Que le dard de l’intranquillité vous pique et encore et encore jusqu’à ce que vous sursautiez de votre tabouret en plastique et vous mettiez à… faire quoi au juste ? (..) demandez-vous si le nombre d’années parcourues, les épreuves et les angoisses endurées, si vous avez vécu tout ça pour vous laisser vivoter du matin au soir, sans envie, sans projet autre que de partager avec les autres les faits qui composent votre journée, sans jamais aller fouiller en dessous, remuer la vase qui encrasse vos désirs et vous faire croire qu’être quelqu’un c’est peser lourd, s’accrocher aux horaires comme si la vie en dépendait, compter le nombre d’heures jusqu’au prochain repas, comparer le prix des gels douches, (..). Nos journées ne peuvent pas se composer exclusivement du récit que l’on en fait aux autres. Sinon, autant les inventer et, au lieu d’être des routiniers de l’ordinaire, devenons écrivains. »
Ici aussi, je trouve sa réflexion intéressante : si l’action est parfois difficile à appréhender, on ne peut pas pour autant se complaire entièrement dans la vie ordinaire – ou si, on peut, mais est-ce la meilleure manière de vivre sa vie ? Adèle rejette en bloc les horaires, les routines bien convenues, la répétition des tâches domestiques et c’est pour un mieux. Si elle est parfois condescendante avec les gens qui se satisfont d’une vie tout ce qui a de plus ordinaire, elle encourage la prise de conscience et le questionnement. Est-ce cela que je veux pour ma vie ? Qu’est ce qui est véritablement important ?
A la fin du livre, Adèle évoque la maladie de son père qu’elle perdra un peu plus tard, ce qui lui a valu l’écriture d’un nouvel ouvrage – « Inconsolable ». Quand on perd quelqu’un de très proche, et c’est un paradoxe avec le passage ci-dessus, on se rend compte à quel point la vie ordinaire pouvait être douce, avant. On donnerait tout pour y revenir, à ces petites conversations banales qui ne menaient nulle part, à ces « ça va » échangés machinalement, à ces cafés improvisés pour évoquer des banalités. La perte est finalement ce qui met en lumière toute la beauté de l’ordinaire, et c’est en la vivant qu’on peut, peut-être, se rendre compte de la chance qu’on a de mener une vie ordinaire. Sans trop s’y complaire, toujours, sans trop enfouir ses désirs sous le couvercle du banal. Un équilibre à trouver.
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